Rugby is my pride : S’ouvrir aux différences
28/11/2023Sur l’estrade du Carreau du Temple dans le 3ème arrondissement parisien, on écoute un champion du monde anglais en 2003, Ben Cohen, disserter sur ses longues années de militantisme contre le harcèlement. Ben Owen, président de l’International Gay Rugby, lui succède au micro avant le témoignage poignant de Gareth Thomas, 100 sélections avec le pays de Galles, dont la moitié en tant que capitaine. « Après mon coming out en 2009, mes partenaires et mon club m’ont demandé s’ils pouvaient faire quelque chose pour améliorer l’environnement, pour aider à ce que je me sente bien. J’aurais aimé qu’ils le fassent six ans plus tôt quand j’étais au bord d’une falaise, un pied dans le vide. Si j’avais su qu’ils auraient été là pour moi, les choses auraient été différentes. »
Aujourd’hui, pourtant apaisé, l’ancien arrière témoigne : « Je suis proactif. Et pourtant, constamment, je continue de recevoir des insultes, je vois des problèmes de discrimination partout. Le meilleur moyen de faire campagne, c’est d’être moi-même et d’être très proactif », assène l’ex-Toulousain. Il est aussi le premier rugbyman professionnel à avoir révélé son homosexualité, déclarant dix ans plus tard sa séropositivité. Sa présence comme celle du premier joueur français à l’avoir imité, Jérémy Clamy-Edroux, à ce symposium était une évidence.
L’internationale Chloé Pelle était la dernière convive de la première table ronde de cette journée du 11 octobre, qui en comptait quatre. « Je vis peut-être dans un monde de Bisounours, mais je vois beaucoup moins ce problème lié à l’homophobie dans le rugby féminin. Dans tous les clubs, les équipes où j’ai joué, même au niveau international, je n’ai jamais vu un problème lié à ça. Je ne me suis jamais posé la question de savoir si ma voisine était lesbienne ou pas. Elle est ma coéquipière et on travaille ensemble pour atteindre notre objectif », a dévoilé l’internationale tricolore en ouverture de la session matinale. Celle-ci traitait de la mixité et de l’inclusion des personnes LGBTQIA+ dans le sport ; la seconde de l’inclusion des personnes trans et intersexes.
Pendant toute la journée, universitaires, scientifiques, experts ont échangé, argumenté, débattu, convaincu. Ils étaient toujours entourés d’athlètes en tous genres et de tous genres, comme le champion olympique 1996 de canoë-kayak biplace masculin, William Forgues, devenu Sandra. Halba Diouf, parmi les sprinteuses les plus prometteuses du pays, se voit quant à elle privée de compétition en raison de son changement de genre. Alexia Cerenys, première joueuse de rugby transgenre à évoluer au plus haut niveau, au RC Lons (Béarn), était également présente.
Autant de témoignages permettent soit de constater le chemin parcouru, soit celui qu’il reste à parcourir, comme le rappelle Florian Grill : « Je suis à la fois très fier et très triste. Je suis très fier du travail de la CADET (Commission anti-discriminations et égalité de traitement) de JeanBernard Moles, qui fait bouger les lignes et évoluer les choses. Je suis aussi très fier de l’équipe qui m’entoure et du travail qu’on a décidé d’entreprendre pour que le rugby ne soit pas uniquement dans sa dimension sportive mais également dans sa dimension éducative et citoyenne. Je suis fier de tout ça, mais triste parce que je sais qu’il y a encore énormément de boulot. »
Le président de la FFR ne pouvait mieux choisir le lieu et le moment pour annoncer quatre axes forts qui seront des priorités de son mandat. Le premier sur sa liste est la déclinaison dans les Ligues régionales de la CADET. « Il faut que ses magnifiques idées soient diffusées dans toute notre organisation, nos 14 Ligues, nos 1 950 clubs, notre centaine de Comités départementaux. Elles doivent être suivies à un niveau local, c’est un véritable enjeu », appuie-t-il. C’est une nouvelle marque d’estime pour cette commission fondée il y a trois ans. « La ministre [Amélie Oudéa-Castéra] a demandé qu’elle soit dupliquée dans toutes les fédérations, rappelle son président Jean-Bernard Moles. Elle s’oppose à toutes formes de discrimination. Nous sommes un rouage essentiel dans ce que représentent le rugby et ses valeurs. Il y a le côté sportif ; nous, on est sur le côté culturel et humaniste. »
Parce que le message ne saurait atteindre sa cible sans le relais sur le terrain que sont les éducateurs, des modules touchant aux discriminations et aux luttes contre les violences seront inclus dans les formations des brevets fédéraux. Le troisième axe fort rappelle un droit – sans doute un devoir – de l’arbitre souvent ignoré. Florian Grill : « Il faut de la rigueur dans les décisions. Un certain nombre de règlements existent quand il y a des faits de racisme ou d’homophobie qui permettent à un arbitre d’interrompre une rencontre. C’est extrêmement peu appliqué. Message a été passé aux officiels de match pour que l’arbitre arrête la rencontre quand il y a un dérapage, qu’il parle avec les présidents, voire le public, et que le match soit arrêté si ça continue. »
Le quatrième et dernier axe relève de la mixité dans le rugby. « On m’a expliqué que ce n’était pas possible. Je veux qu’on trouve les solutions pour que ça le devienne », tranche le président de la FFR, organisatrice de l’événement aux côtés de France 2023, avec le soutien de World Rugby, de la ville de Paris et du ministère des Sports et des Jeux olympiques et paralympiques. Une autre preuve que le sujet touche toutes et tous. Et Amélie Oudéa-Castéra de conclure : « L’organisation sur notre territoire de cette formidable Coupe du monde est l’occasion de mettre en évidence les plus belles valeurs d’inclusion et de fraternité que portent traditionnellement le rugby, le sport et la France. À travers cette compétition, on a tous fait le choix d’aller plus loin avec la volonté de mettre ces valeurs au diapason de notre époque.«
« Rugby is my Pride » en 4 étapes
- 17 mai : diffusion en avant-première lors de la journée internationale contre l’homophobie, la biphobie et la transphobie d’un spot de sensibilisation, diffusé notamment dans les stades et les villages Rugby de la Coupe du monde
- 24 mai : rassemblement de la famille du rugby et participation à la marche des Fiertés.
- 11 octobre : symposium « Le libre arbitre dans le sport » à Paris
- 14 octobre : Pride Rugby Cup, tournoi LGBTQIA+ friendly au CNR de Marcoussis organisé par la CADET, la FFR et le club des Coqs Festifs, avec huit équipes dont deux féminines et quatre étrangères, remporté par Les Gaillards parisiens.