Rugby au féminin : La place finale !

19/06/2025
Les finales ne sont pas que ce rendez-vous passionné et enflammé des joueurs, joueuses. Les arbitres en sont aussi d’incontournables acteurs, vivant des moments inouïs riches en émotion. Des préparatifs jusqu’aux coups de sifflet finaux, nous avons suivi quelques-unes de ces « femmes en noir ».

« Avec ce rendez-vous annuel de la Journée des Finales Féminines, on se réunit et vit un peu chaque moment comme une équipe de rugby, de la remise des maillots aux émotions du terrain jusqu’à la troisième mi-temps ! » Les propos sont de Marie Baudrillart, l’une des arbitres de ces six finales nationales qui finissent en apothéose chaque saison. Douze équipes de six catégories différentes, six boucliers, supporters colorés, dirigeants, bénévoles, représentants fédéraux, sans oublier… le gratin de l’arbitrage féminin sans lequel aucun match ne serait envisageable. Avec une arbitre de champ, deux assistantes, voire des 4e et 5e arbitres selon les oppositions, le contingent d’encadrantes de match est bien fourni.

D’où la quinzaine d’arbitres ayant répondu présentes. Pour en arriver là, travail et arbitrage vont de pair toute la saison, entre entraînements, coaching, visios hebdomadaires, réunions, formations, supervisions et stages. Originaire des Pays de la Loire, Nathalie Millet, aînée d’un groupe qu’elle fait aussi beaucoup rire, insiste sur le fait qu’il n’y a pas de critère d’âge, « tant qu’on parvient à passer les tests physiques et techniques exigeants ». Elle ajoute  : « Je suis aussi là pour rassurer. Cela fait sens d’encadrer ces jeunes arbitres », explique celle qui a été choisie comme arbitre assistante lors du match de la benjamine Louane Cogez ou de celui de Lidwine Alba, dirigeant la finale Élite 2.

Comme les joueuses, l’ambition est source de motivation pour toutes. « Chaque saison, ajoute Nathalie, on a envie d’arbitrer le plus longtemps et loin possible. C’est pour cela qu’on fait une grosse préparation et qu’on se donne tous les week-ends. Je me réjouis que nous soyons une trentaine à participer aux stages fédéraux contre cinq à mes débuts dans la fonction, il y a une dizaine d’années. » Une sélection pour arbitrer une finale rime avec consécration.

Les nominations des arbitres, qui interviennent six semaines avant ces finales, dépendent des deux dernières équipes présentes (qui ne doivent pas être de la même Ligue que la référée). Et pour ce grand jour, les arbitres sont venues de toute la France. Le covoiturage permet de réduire les coûts et de créer des road trips inoubliables, comme l’explique Louane Cogez, qui a tracé la route depuis Cambrai  : « C’est très impressionnant et un honneur de me retrouver avec mes consœurs ou devoir arbitrer une affiche Bordeaux-Toulouse M18 Élite, reconnaît la benjamine du groupe (21 ans) qui va arbitrer sa première finale. Le stress n’arrive que quelques heures avant le match. »

Arbitre semi-pro (Élite 1, Pro D2 ou Coupes du monde féminines), Aurélie Groizeleau, également en charge du développement de l’arbitrage féminin à la FFR, note que le plus gros du travail est en amont pour que chaque question ait une réponse  : « On fait tout pour que les arbitres soient dans le confort pour être concentrées sur leur objectif sportif et que nous, staff, soyons leur bouclier. »

Remise de maillots et discours

Rassemblées dès la veille au soir à Auch, les arbitres profitent d’un groupe WhatsApp créé pour l’occasion avant la traditionnelle remise de maillots, ainsi que les derniers discours et briefings. En plus de ces maillots personnalisés, des t-shirts de promotion de l’arbitrage seront portés par les référées, avec comme couleur une référence au club recevant (rouge ici pour Auch) et le message  : « Rejoins-nous ! » ainsi que « jeveuxarbitrer@ffr.fr. » « C’est ma première remise de maillots, apprécie Pascale Mercier, vice-présidente de la FFR en charge du développement rugby féminin. Je suis fière et honorée d’avoir toutes ces femmes devant moi. Sans elles, il n’y aurait pas de match. »

L’élue reprend  : « Quand une jeune fille en tribunes voit de tels exemples, cela lui donne l’idée de peut-être un jour arbitre ou devenir représente fédérale (RF). Cette Journée des Finales Féminines est un succès et on est heureux que le concept ait aussi été décliné dans les Ligues avec les compétitions locales. » L’une des plus expérimentées du pool, Doriane Domenjo, qui a notamment arbitré une finale Élite 1 et participé à une Coupe du monde, insiste sur le lien qui les unit toutes  : « Dans la semaine, on s’est téléphoné avec Louane que je vais accompagner au centre, pour évoquer le match à venir. Et puis, dès le premier coup de sifflet, tout rentre dans l’ordre. »

Les Gersoises Odette Desprats et Andrée Forestier sont la surprise du chef. Ex-internationales de la toute première heure (internationales n° 10 et 17), à la création du premier club de rugby féminin ou formatrices dans l’âme, elles ont vu passer toute la jeunesse gersoise de talent. « Arbitrer est une passion formidable, insiste Odette, qui a également été la première femme arbitre d’Armagnac-Bigorre et est encore RF aujourd’hui. Disputer une finale, quel que soit notre rôle, est un souvenir qui nous marque à vie. Quand je vois combien le rugby et l’arbitrage féminins ont évolué, cela fait chaud au cœur et on ne s’est pas battues pour rien. »

Andrée Forestier apprécie à ses côtés  : « On ressent l’évolution du rugby féminin, c’est très positif et il faut continuer d’encourager les vocations. Dont d’arbitres. » La séquence émotion concerne Marie Baudrillart, qui vit sa quatrième journée de finales féminines. « Une finale représente beaucoup pour les joueuses, argue-t-elle. Nous, arbitres, ne devons pas céder à l’émotion et on doit la transformer en une force, quelque chose de puissant qui nous porte sur le terrain pour être la meilleure possible. »

Marie vit une période personnelle hyper intense. En plus d’être maman de trois filles, elle se marie la semaine suivant les finales, où elle vit aussi son dernier match en tant qu’arbitre central avant de se consacrer à la touche  : « Arbitrer est l’équilibre de ma vie, pourtant chargée. Quand je reviens de mes matches, je suis ressourcée et en pleine forme ! » Lors du dernier briefing, Aurélie Groizeleau insiste sur « les durées de transformations et pénalités, au micro pour celles qui en seront équipées ou au règlement en cas de prolongations. Profitez bien de cette journée. C’est aussi le bouquet final d’une saison durant laquelle vous avez tant bossé et une récompense de votre investissement ».

Préparation et entraide

Le jour J, la plupart des arbitres optent pour un réveil musculaire, voire un footing, non loin de leur hôtel vers l’hippodrome d’Auch. Cette capitale gersoise qui a vu passé moult rugbymen de talent accueille en effet ces six finales en une journée en ce dernier jour du mois de mai, avec une météo estivale. Rapidement, un joli ballet s’installe avec des supporters fiers de leurs couleurs, des cornes de brume, des cloches pour les régions montagnardes et autres tifos, photos et pancartes soutenant tel club ou telle joueuse.

Lucie Laporte, arbitre de la finale de Fédérale 1, aime le parfum des phases finales  : « J’adore les beaux jours, raconte-t-elle, ce sont les meilleurs moments, aussi pour nous arbitres. Je me suis préparée techniquement et mentalement à mon match. On est aussi stressées qu’excitées. Malgré la passion des matches couperets, en général, il y a plus de respect envers des arbitres féminines qu’envers des hommes. » Elle vit là sa deuxième désignation de finale et sera encore présente l’année prochaine. Et Lucie Laporte se veut altruiste. « En Gironde, j’ai créé un groupe de 14 arbitres, notamment pour aider toutes les jeunes qui débutent. »

Le lendemain de sa finale à Auch, Lucie faisait la touche de l’une des arbitres qu’elle forme lors de sa première finale départementale féminine. L’ex-internationale Chloé Pelle est arbitre depuis 2021 à l’issue de sa médaille d’argent du Seven aux JO de Tokyo. « Malgré mon expérience de joueuse de haut niveau, le stress est toujours là, reconnaît celle qui, durant trois ans, a arbitré et joué avant de se consacrer à 100 % au sifflet. Je veux tellement ne commettre aucune erreur que j’en suis très exigeante. Peut-être que mon passé d’internationale m’apporte un peu plus de légitimité dans les yeux de ceux que j’arbitre. »

Pour l’ensemble des six finales gersoises, quatre représentants fédéraux accompagnent la « Team Arbitrage » qui dispose d’un vestiaire et d’un local pour toute la journée où les six rencontres s’enchaînent sur le terrain d’honneur de l’enceinte et le terrain B. Aux pauses fraîcheur, aux mi-temps et fins de match, les équipes arbitrales se resserrent, échangent ou débriefent. À la mi-temps de la finale Élite 2, toutes les arbitres de la journée se voient remettre des médailles pour cette journée. Sitôt ses finales achevées, Louane Cogez a le sourire. « C’est magique de vivre ça si jeune. Les coachs des deux équipes et mes consœurs m’ont dit que j’avais fait une bonne finale, alors je suis contente. »

Même son de cloche chez Lidwine Alba, la femme en noir dirigeant la plus grande finale, celle d’Élite 2. « J’ai eu droit à un score serré et à la règle de la carence pour ma troisième finale, souffle après match celle qui disposait de sa fiche dans son carnet à cartons avec tous les scénarios pour ce thème. C’est le plus haut niveau que j’aie arbitré et j’ai pris du plaisir lors de cette belle journée pour le rugby féminin. Tout a été fluide. » Aurélie Groizeleau est satisfaite. « Ce rassemblement est un bouquet final. Je suis contente du travail de nos arbitres lors d’une telle journée à 30 °C et sans erreur majeure. »

Les joueuses ont aussi apprécié, comme Laurie Nouhen, tout juste championne de France Élite 2 avec Toulon  : « C’est bien que les matches aient tous été arbitrés par des femmes, reconnaît la première ligne. En fait, ce n’est plus du rugby féminin mais juste du rugby. » Après une telle journée intense, mais aussi après une si longue saison, il est important de décompresser. Une fois les trois coups de sifflet donnés, les arbitres se réunissent dans le réfectoire pour dîner ensemble avant de profiter, elles aussi, de la troisième mi-temps, indispensable afin de relâcher la pression inhérente à ce rôle d’arbitre essentiel.