Jeux Olympique Paris 2024 : La folie du rugby à 7
01/10/2024En effet, si on devait faire un parallèle sensoriel, peut-être faudrait-il remonter à 1998 pour revivre pareille émotion. Accrochez-vous : nous sommes au mois de juillet (le 12 au lieu du 27), au Stade de France (même enceinte), face à ce qui se fait de mieux au monde (Brésil et Fidji) avec un résultat identique : les Français roulent sur leurs adversaires les plus prestigieux (3-0 et 28-7).
Allez, on le concède volontiers, seuls les mélomanes trouveront à redire, car l’éternel I will survive a laissé sa place au duo Dans les yeux d’Émilie et Que je t’aime de Johnny, et il était sans doute impossible de chanter « Et 1, et 2, et 3, et 4… » jusqu’à 28 pour les supporters des Bleus, mais les émois sont identiques. Il devait sans doute y avoir en nous une pointe de Thierry Roland à la fin du match : « Ah, quel pied ! » Tous les commentateurs, observateurs, supporters, ou (télé)spectateurs se reconnaîtront sûrement.
Que Paris soit déjà une fête !
Le Seven a squatté et endiablé le Stade de France cet été. Avant même la pluvieuse et inoubliable cérémonie d’ouverture sur la Seine, les Jeux olympiques de Paris 2024 avaient programmé des sports collectifs. Mais comment ne pas repenser à ce calendrier du rugby à 7 masculin qui programmait les Bleus avant même l’embrasement de la vasque olympique, sans pouvoir prendre part à ladite cérémonie, car disputant une demie décisive le lendemain. Eh oui, en théorie, France 7 aurait pu être éliminé avant même l’ouverture ; quand on vous dit que le 7 ressemble à des montagnes russes en matière de palpitations, là c’était un peu la rue Lepic de Montmartre…
Mais Raphaël Gamba, sports manager rugby & rugby fauteuil pour le Comité d’organisation des Jeux olympiques et paralympiques de 2024, a son avis sur la question et ne l’a pas vu comme un inconvénient : « C’est vrai que commencer avant la cérémonie d’ouverture, c’était un risque et un enjeu : celui d’avoir une équipe de France absente, mais aussi d’avoir de belles images dès le début, un stade rempli et que Paris soit déjà une fête ! Le rugby à 7 se prête très bien à ça. » Et organiser du rugby à 7 dans ces conditions au Stade de France a été un vrai challenge.
Mais pas d’accident matériel pour Jérôme Daret et ses troupes ; tout le monde était bien présent dans le décor d’un Stade de France relooké depuis des mois, avec une tribune basse qui a ensuite laissé sa place à l’athlétisme. La moquette violette et les logos Paris 2024 ne laissaient planer aucun doute : France 7 était bien au rendez-vous de l’événement sportif planétaire. La foule, nombreuse et joyeuse comme sur chaque site olympique, était impressionnante, tout comme les effectifs des forces de l’ordre et des bénévoles qui facilitaient les déplacements de tous.
Une montée en régime à partir du jour 2
Il faut quand même revenir sur le début de tournoi des Bleus, certainement inhibés ; il a été inquiétant ! On n’a pas retrouvé le style des récents vainqueurs des World Series de Madrid. Le match nul contre les USA (12-12) et la victoire étriquée contre l’Uruguay (19-12) ont pourtant envoyé, avant même de jouer les Fidji, l’équipe du capitaine Paulin Riva en quart de finale. Quelques discours et changements de compo ont permis une montée en régime à partir du jour 2. Le suspense, le spectacle et ce jeu à la vie à la mort étaient toujours là.
Sortant du banc avec à-propos, Antoine Dupont a confirmé qu’il était bien un extraterrestre de ce sport, quelle qu’en soit sa pratique. Les Français se sont offert l’Argentine en quart de finale (la même équipe que lors de la finale de Madrid), avec à la pause un magnifique 21-0 (score final 26-14). Et puis cela a été au tour de l’Afrique du Sud en demi-finale, qui n’a même pas eu le goût de la revanche à XV d’octobre 2023 (victoire 19-5). Les Tricolores se sont offert une finale de rêve face aux Fidjiens, qui n’avaient encore jamais perdu un match de 7 aux Jeux olympiques.
Avant de revenir sur la finale, il faut faire le point avec l’organisation ; pratiquement toutes les places ont été vendues. Effet Antoine Dupont ? Raphaël Gamba en doute : « Je pense que l’impact Antoine Dupont a été assez faible parce que les places étaient déjà très bien vendues. Seules quelques places ont été remises en vente dans ces dernières semaines. Elles ont immédiatement été vendues. »
France 7 s’est offert une finale de rêve
Antoine Dupont et ses camarades étaient donc en finale ! L’ambiance était dingue, digne d’un tournoi de Hong Kong, les habituels déguisements de Mario Kart et autres Schtroumpfs avaient cédé la place à ceux d’Astérix et Obélix, les irréductibles ! Comme France 7, qui s’est offert une finale de rêve remportée 28-7 contre les Fidjiens, champions olympiques en titre et invaincus jusqu’alors aux JO. Malgré la grisaille et la pluie des premières journées, Paris et Saint-Denis ont offert un merveilleux résultat à l’équipe de France olympique. Raphaël Gamba en est persuadé ! Pour l’ancien responsable adjoint du département événementiel de la FFR : « Ça a créé une vraie dynamique pour les équipes de France, c’est la première médaille d’or après la cérémonie d’ouverture. Il y avait beaucoup de connaisseurs au stade certes, mais aussi des néophytes. Les gens ont eu parfois jusqu’à huit heures de jeu dans la journée. » Peut-être la médaille d’or du rapport qualité/prix de ces Jeux.
Il était l’heure de remercier les joueurs de toutes les nations. On souriait à la vue des déguisements comme c’est de tradition lors des tournois de Seven, mais cette fois-ci, pas de Spiderman ou de Policeman extravagant, mais plutôt un flux de maillots bleus de tous sports confondus. Les deux étoiles du foot rivalisaient avec le Coq sportif ou le t-shirt blanc avec un beau FRANCE ! Chacun voulait sa relique, ayant déjà bien conscience que, dans 20 ans, les chanceux pourraient dire : « J’y étais ! » Collector, à coup sûr. Mais les équipes se souviendraient aussi de ces Jeux dans un Stade de France magnifié et féerique ; lors du tour d’honneur, chacun a eu le droit d’aller sonner la cloche présente au Stade de France tout au long des épreuves. Celle-là même qui reviendrait dans la cathédrale Notre-Dame.
Des crochets ou décrocher ? Aux côtés de son père, Lucas n’a pas pu choisir : il découvrait aussi bien le Stade de France que les JO. Le baptême a été inoubliable et le jeune a enchaîné des « Allez les Bleus » et des Marseillaise à tue-tête, son drapeau tricolore avec le coq France Rugby en main. D’ailleurs, comme sur tous les sites olympiques, les drapeaux bleu, blanc, rouge ont été brandis à foison. Dans le public, c’était un mélange de passionnés et de néophytes venus voir la star universelle Antoine Dupont.
Comme Léon Marchand ou Teddy Riner, le Toulousain a attiré le chaland. En tribunes, le président Emmanuel Macron a oublié son actualité électorale, le président du Comité d’organisation Tony Estanguet et celui de la FFR Florian Grill se sont chaleureusement congratulés tandis que les VIP, comme l’acteur Jean Dujardin ou le champion de biathlon Martin Fourcade, étaient aux anges. « Ce public en feu nous a vraiment portés, a déclaré après coup Jordan Sepho, avec ses grosses lunettes en mode 3e mi-temps sur la tête. Sans lui, on n’aurait pas eu ce petit truc en plus afin d’être champions olympiques. »
« Qui ne saute pas n’est pas français »
Allez, on y revient : la fin de la compétition des garçons a été une liesse collective. Toute l’arène dionysienne sautait en hurlant « Qui ne saute pas n’est pas français ». La réussite sur le terrain s’est transposée en dehors ; globalement, l’organisation a été fluide. Raphaël Gamba livre quelques secrets : « La répétition générale avec tous les acteurs a été un peu compliquée, il y a eu pas mal de réajustements, finalement cela a été très fluide. On y travaillait depuis tellement longtemps, beaucoup de services étaient impliqués. On a eu une équipe “rugby” très solide, très investie, compétente. »
Petite frayeur cependant le jour de la finale masculine : « Un câble de la CableCam s’est pris dans les poteaux. C’était un point que l’on avait réglé quelques jours avant, mais la structure a été mal remontée après la répétition de la cérémonie. Ça a été réglé rapidement, on a tout oublié avec la victoire des Bleus », raconte, soulagé, Raphaël Gamba.
Après la joie folle et les embrassades, il y a eu le retour aux vestiaires. Les joueurs ont changé de costume et enfilé le survêtement officiel : place au protocole de remise des médailles avec la montée sur la plus haute marche, l’hymne national et les drapeaux officiels qui se hissent, suivi du clapping avec le peuple de France. Les Tricolores ont fait le show au centre du terrain avec leur chorégraphie en mode hip-hop sur le son de Miami de Will Smith. Le buzz était lancé, la « choré » serait répétée à chacun de leurs passages médiatiques les jours suivants, avant quelques jours festifs du côté d’Ibiza.
Stars des plateaux TV avec leurs breloques, ces champions olympiques tricolores aussi sympathiques que modestes ont sublimé l’image de notre sport, enflammant le Club France à la Villette et au Trocadéro, où les médaillés ont eu un dernier rendez-vous avec leur public.
Au Stade de France, deux frères rugbymen venus d’Alsace, Rémy et Paul, ont retrouvé le sourire. « On n’était pas revenus dans cette enceinte depuis le France-Afrique du Sud du Mondial 2023. Contre les Springboks, on a même cru que la malédiction se reproduisait en demi-finale ! Heureusement, cette fois, les planètes étaient alignées. » Avec deux essais et une passe décisive, et après être allé étreindre ses proches ou avoir reçu un appel vidéo de Zinedine Zidane dans les vestiaires, Antoine Dupont a pu savourer dans les coursives du stade. « Ce sont des émotions qui sont tellement fortes qu’elles sont dures à décrire. Il y a beaucoup de fierté. J’ai rarement entendu une telle ambiance au Stade de France. On avait envie de rendre tous les Français heureux. Cette médaille d’or est magnifique et c’est une immense fierté de pouvoir la porter autour du cou. » Le futur ex-sélectionneur, Jérôme Daret, ne s’y trompait pas : « Avec ces JO et cette équipe de France à 7, on a créé une ferveur nationale et même mondiale. On s’est rendu compte de l’impact du rugby français à l’échelle planétaire. »
Le 7 se conjugue au futur avec l’olympisme
Mais cette histoire ne se terminera pas sans parler de France 7 Féminin, qui est entré en piste après la médaille d’or des garçons. Lors des dernières olympiades, les hommes ne s’étaient pas qualifiés ; les femmes avaient, elles, ramené la première médaille olympique (d’argent) du rugby français. « À jamais les pionnières », avait-on titré en couverture de Rugby Mag en septembre 2021. Cette fois, le destin s’est inversé. Les Bleues de David Courteix ont fait une grande impression en poule avec trois larges scores (face au Brésil, au Japon et aux USA) ; malheureusement, le premier match à élimination contre les Canadiennes a été une désillusion (défaite 14-19). Ce qui exhume des propos de Julien Candelon, team manager de France 7 Masculin et ancien septiste battu à Rio en quart lui aussi : « Quand on gagne un quart, on fait la moitié du chemin vers une médaille. C’est le match le plus important d’un tournoi. Il ferme la porte brutalement ou l’entrouvre aux rêves les plus fous… »
Des jeunes pratiquantes étaient en pleurs dans les tribunes, tout comme les Bleues en bord de terrain. Camille Grassineau : « Nous avons manqué notre rendez-vous avec les Jeux olympiques à domicile. Si on regarde le résultat sec, c’est un échec, mais cela n’annule en rien notre progression depuis quelques années. » Les Bleues ont séché leurs larmes et relevé la tête pour aller chercher une 5e place. Le 7 a malgré tout conquis un nouveau public et confirmé qu’il se conjuguait au futur avec l’olympisme.