Essai de légende : Philippe Sella vs l’Angleterre
29/12/2020Alors que les Français sortent d’une victoire étriquée 16-9 contre le pays de Galles au Parc des Princes, les Anglais viennent, eux, de connaître les affres de la défaite face à l’Irlande à Lansdowne Road (17-0). C’est donc un XV de la Rose revanchard qui reçoit les Bleus ce 21 février à Twickenham. Si en temps normal, un Crunch est toujours un match à part, celui-ci, à quelques mois de la première Coupe du monde de l’histoire, l’est encore plus. Les Anglais veulent marquer leur territoire tandis que les Bleus veulent s’imposer pour marquer les esprits, après trois échecs consécutifs pour décrocher le Grand Chelem. Le début de la rencontre, à l’avantage des Anglais, est assez tendu, voire plutôt rude. Philippe Sella se souvient encore du climat particulier qui se dégage des premières minutes. «L’atmosphère est plutôt électrique. Devant, ça cogne, ça n’a vraiment rien à voir avec le rugby d’aujourd’hui. On sent que ça peut partir à tout moment. Il y a de nombreux coups bas. Il faut dire qu’à cette époque, il n’y avait ni vidéo ni carton jaune. Chaque action est synonyme d’accrochages pour affirmer sa supériorité. Personne ne va au-delà, mais c’est vrai- ment limite…» À la pause, les Anglais mènent 12-3 grâce à trois pénalités de Marcus Rose et un drop de Rob Andrew.
Une action d’anthologie
Au retour des vestiaires, l’affrontement repart sur les mêmes bases, l’atmosphère est toujours aussi pesante. Les Bleus ne se laissent pas faire pour autant. Ils font même preuve de résilience. Après un drop de Serge Blanco, ils marquent sous les poteaux grâce au Toulousain Érik Bonneval, un essai qui ponctue un magnifique mouvement. « Ça nous remet dans le bain. C’est un moment crucial de la rencontre, on recolle au score », se remémore le centre inter- national aux 111 sélections. Les Tri- colores reviennent à 12-12 alors que les Anglais campent dans leurs 22 mètres. Une touche à 15 mètres de l’en-but des Bleus déclenche un mouvement de passes chez les Blancs. Les Anglais, entreprenants, jouent au large avec une redoublée pour créer le surnombre. Alors que le demi de mêlée et capitaine Richard Hill al- longe sa passe, Philippe Sella entre dans la légende sur une action d’anthologie, un geste dont seuls les plus grands ont le secret. Le centre des Bleus coupe la trajectoire du ballon et se saisit du cuir. Aujourd’hui encore, il n’a rien perdu de son feeling lors- qu’il nous raconte l’interception. « On a sur l’action une défense assez serrée, ce qui est plutôt dangereux, car avec la redoublée, ils sont en surnombre. Et défendant haut, il y a cette possibilité de jaillir, de chiper la balle. Je me souviens de ce moment. Je vois le jeu comme s’il y a un ralenti me permet- tant d’aller chercher le ballon. » Pour Philippe Sella, c’est presque une offrande de l’adversaire : «Je cueille le ballon. Je le prends avec la paume de la main. C’est un peu le phénomène du garçon de café. (Rires.)»
Un essai partagé par toute l’équipe
L’interception réalisée, il faut encore parcourir les 60 mètres restants et surtout, éliminer les adversaires qui reviennent en travers. « Derrière la prise de balle, avec l’impulsion, je choisis d’amener Rose, qui est en face, là où je veux, c’est-à-dire vers ma droite. Je sais que je suis plus rapide. Je vais donc chercher un espace pour l’y amener et le battre, sauf qu’il y a Harrison qui arrive d’un côté et Underwood de l’autre. » Le trois-quarts français joue alors de malice pour aller poser délicatement le ballon derrière la ligne. « La réussite de cette action tient dans le crochet intérieur. Marcus Rose est pris. Avec les deux fusées derrière moi, si je ne le fais pas, je me fais reprendre. J’ai comme des rétroviseurs. Je sens ce qu’il se passe dans mon dos. » Une inspiration qui permet de sceller le sort de la rencontre. Un essai d’opportuniste partagé en équipe comme le rap- pelle Philippe Sella. «Il y a ce moment d’explosion de bonheur où tu te tournes vers tes coéquipiers qui te sautent dans les bras. » Cette année-là, les Bleus décrochent leur 4e Grand Chelem en Irlande avant de poursuivre leur route jusqu’à Auckland où ils s’inclinent en finale de la première Coupe du monde de rugby de l’histoire…
Fiche Technique
Samedi 21 février 1987 à Londres (Twickenham), France bat Angleterre 19-15 (mi-temps : 3-12)
Arbitre : Jim Fleming (Eco)
Angleterre : 1 drop Andrew (24), 4 pénalités Rose (1, 6, 12, 72)
France : 2 essais Bonneval (47), Sella (64), 1 transformation Bérot (47), 2 drops Mesnel (16), Blanco (43), 1 pénalité Bérot (68)
ANGLETERRE : Rose – Harrison, Simms, Salmon, Underwood – (o) Andrew – (m) Hills (cap) – Rees, Hall, Winterbottom – Bainbridge, Dooley – Rendall (Chilcott, 11), Dawe, Pearce
FRANCE : Blanco – Bérot, Sella, Charvet, Bonneval – (o) Mesnel – (m) Berbizier – Erbani, Rodriguez, Champ – Condom, Lorieux – Garuet, Dubroca (cap), Ondarts